Pourquoi la SF propose principalement des univers noirs, angoissants, « foireux » comme dirait Pierre Bordage ?
C’est dans le creuset de la souffrance qu’on mitonne les meilleures histoires. Difficile de soutenir l’intérêt narratif dans une utopie. J’ai écrit un manuscrit se déroulant dans un futur positif où tous les problèmes importants sont résolus (crise économique et écologique). C’est d’un chiant ! Une bonne fin du monde avec des survivants gelés pillant des supermarchés et se défendant à coup de barres de fer, c’est plus prenant. Oui, les bonnes histoires sont du côté obscur.
C’est aussi parce que la SF aime à mettre la science en problème. A s’interroger sur l’impact de la connaissance, ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Les scientifiques ne se posent pas la question de l’éthique. Ils cherchent. Ils trouvent. Généralement toute découverte est utilisée. Chacune possède des applications positives et négatives (citons la génétique comme exemple). C’est à la société, et non à la science, de se soucier d’éthique, de contrôler les comportements collectifs. La SF permet de mieux visualiser les côtés dangereux de la science. De poser les questions utiles pour la société. La SF modélise les effets éthiques de la science pour faite réfléchir. La SF française, peu riche en auteurs de hard science, est d’ailleurs largement plus pessimiste que la SF américaine, différence culturelle oblige.
Et puis la SF parle de notre présent. De notre humanité. Des désirs et des cauchemars de notre époque. Des mythes d’aujourd’hui. La SF est le miroir des peurs et pulsions de chacune de nos décennies. (Est-ce pour cela qu’il n’y a eu aucune SF dans les années 40, la réalité ayant surpassé en noirceur tout ce qu’on aurait pu imaginer ?). Basculement de la littérature et des films dans les années 70. Le progrès contrarié se transforme en régression inéluctable.