Sept milliards d’humains. Un milliard de touristes.
Un milliard de raseurs qui nous inonde de photos prises en triple et d’anecdotes faussement aventureuses. Sacha Guitry disait «Les voyages, ça sert surtout à embêter les autres une fois qu’on est revenu». Pourquoi cet instant de solitude quand un ami nous raconte sa traversée du Zimbabwe en roller, ou quand notre oncle dit avoir « fait » la Malaisie ?
• Parce que nous sommes jaloux, pauvres créatures devant trimer chaque jour pour une retraite hypothétique. Manque de moyens financiers. Manque de temps. Ecouter les vacances des babyboomers qui n’ont connu ni la guerre ni la crise, non merci ! Nous refusons de nous voir jeter notre infériorité en pleine face. Fuir l’injustice.
• Parce que certains voyages ne sont pas intéressants. Visiter l’idée d’un pays plutôt que le pays lui-même. Contacts rares avec la population locale, voir évitement. Temps passé sur place restreint, une, deux semaines. Seuls les sites « incontournables » sur les guides sont examinés. On y trouve le même mix européens-chinois-russes que dans tous les autres sites incontournables. A la Jungfrau, on en apprend plus sur les Chinois que sur les Suisses.
• Parce que les voyageurs veulent frimer un peu trop. Récits enjolivés. Drames qui ont failli se produire (nous sommes passés près des mines – en fait la simple visite d’Angkor). Amitiés locales indéfectibles (plutôt le service du chauffeur de taxi malgache, ou du vendeur de batiks javanais). Omissions (il n’y avait pas de distributeur de billets à Bellem ?). Les aventuriers méprisent les touristes qui, eux, ne voyagent pas « vrai », intelligent, en dehors des sentiers battus… Ils sont d’ailleurs les derniers à goûter l’authenticité des lieux visités. Après eux, les sites seront définitivement dénaturés par le monde moderne.
• Parce que le voyage se périme vite. Nous parcourons un pays à un instant donné. Dix ans après, ce n’est plus le même. Tout est à refaire. Seul le neuf possède une valeur. Des anecdotes datées ne présentent aucun intérêt. Surtout un conseil d’hôtel, depuis que TripAdvisor donne la cote des hébergements en temps réel.
• Parce que, tout simplement, nous en avons vu d’autres. En 2015, combien de National Geographic nous offrent des reportages sublimes (dernièrement les derniers nomades kirghizes) ? Des immersions à la De Maximy comme si on n’y était ? Le terrien du XXIème siècle est blasé alors que tout ce qui nous est montré va disparaître.
Et pourtant, parfois, nous tombons sur un touriste de cœur. Un voyageur. Un ami qui fait profil bas, qui revient de loin sans s’en venter. Un parent qui ne prétend pas avoir été le premier au Taj Mahal. Et alors, nous leurs posons une ou deux questions.
Pour approfondir la question, il existe un livre de Matthias Debureaux « De l’art d’ennuyer en racontant ses voyages ». Hélas épuisé, je n’ai pas pu le trouver, même d’occasion. Si quelqu’un n’en a plus l’usage…